Les journalistes sont-ils des cons ?
Revenons sur l’étude de Portland dont je vous avais parlé hier. Un boulot d’amateur, sur toute la ligne, comme tous les écrits mettant la vape face à un problème de santé publique dont la seule finalité est de faire le buzz. Ça a été la même chose avec le rapport japonais. Il suffit de se pencher quelques instants sur le contenu de ces études – et dans le cas de celle de Portland, ça a été très rapide – pour en trouver les incroyables faiblesses, les inexactitudes, les mensonges, par omission ou pas. Comment un boulot de sagouin pareil peut-il être repris dans le monde entier, par tous les médias ? C’est ce à quoi je vais essayer de répondre aujourd’hui.
Tout d’abord, excusez-moi cette accroche un poil grossière. Mais ça fait partie de la démonstration.
Pour comprendre, il faut se mettre à la place de tout le monde et essayer d’ingérer la nature humaine dans ce qu’elle a de plus simple et de plus complexe. Je ne m’attendais pas à faire de la sociologie sur ce blog mais au bout d’un moment, d’étude bidon en interprétation pourrie, il faut bien comprendre ce phénomène : pourquoi, alors qu’il existe des centaines d’étude sur la vape, des positives, ne parle-t-on que des deux ou trois études négatives ? Les études positives, elles existent vraiment. On trouve bien parfois quelques petits bémols mais globalement, on reste sur les mêmes conclusions : c’est 100 à 1000 fois moins dangereux que la nicotine absorbée par combustion. Je crois que c’est tout simplement le même mécanisme qui veut qu’on ne parle que des trains qui n’arrivent pas à l’heure et pas de ceux qui arrivent à l’heure. Mais reprenons les choses à leur origine.
Que cherche-t-on dans la vie ? L’argent, la notoriété, la vie éternelle, des enfants intelligents, des jolies filles ou des beaux mecs dans son lit, la pérennité d’une œuvre ou de travaux, ce genre de choses. Mais en gros, le nerf de la guerre, c’est quand même le fric. Je pense que les gars de Portland, ceux qui ont commis leur étude, enfin, leurs trois paragraphes torchés au fond d’une salle ou les gogos danseuses se succédaient se sont dits : « c’est trop bien les gogos danseuses ; faudrait qu’on refasse ça tous les samedis soirs. Mais j’ai pas les crédits pour ça. Et puis j’en ai marre de Portland. C’est la ville qui a inspiré Matt Groening pour créer Springfield ; je veux les gogos danseuses de Las Vegas et plus si affinités. Les gars, il faut qu’on frappe un grand coup, qu’on publie une étude qui bluffera tout le monde, pas une étude à la con qui nous vaudra encore un IgNobel. »
Petite parenthèse ici. Les prix IgNobel (ici la page officielle, ici la page Wiki) existent vraiment. C’est la preuve que les scientifiques ont de l’humour. C’est l’attribution de récompenses aux travaux les plus crétins au monde ; ils ne sont pas tous remis à des scientifiques d’ailleurs. Quelques exemples, sinon, ça ne serait pas drôle. En 2011, on remet un IgNobel de physiologie à une équipe qui a prouvé que le bâillement n’est pas contagieux sur les tortues charbonnières à pattes rouges. En 2010, on remet un prix d’économie pour la « création et la promotion de nouvelles manières d’investir de l’argent en maximisant les gains financiers et en minimisant le risque pour l’économie mondiale ou une partie de celle-ci ». Ça ne serait pas très drôle si le prix n’avait pas été remis à Goldman Sachs, Lehman Brothers et tous leurs potes. 2001, prix d’astrophysique : remise de prix à la découverte selon laquelle les trous noirs remplissent toutes les conditions pour abriter l’enfer. 1997 : un prix IgNobel de communications à Sanford Wallace pour avoir inventé le spam. 1996, catégorie Paix pour un certain Jacques Chirac pour avoir célébré les commémorations du 50ème anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki en reprenant les essais nucléaires. Mon petit préféré date de 94, doublement décerné au Patient X, victime d’une morsure de son serpent à sonnettes ; X s’était relié la lèvre à une batterie de voiture tournant à 3000 tours minute. Le prix a également été décerné au docteur Roger Dart pour ses travaux sur le non fonctionnement des électrochocs contre le venin des serpents à sonnettes. On le comprendra, la plupart des IgNobels sont involontaires quand ils ne sont pas issus de la communauté scientifique. Quand ils le sont, je pense qu’ils proviennent tout de même de travaux sérieux ; mais dont le but initial n’a pas été atteint. Le prix de 2011, sur les tortues, par exemple, portait sur les tortues. Les scientifiques cherchaient à démontrer quelque chose avec cette espèce, n’y sont pas parvenus et se sont rabattus là-dessus en se disant qu’au moins, ils auraient peut-être un prix. Un ou deux ans de boulot de perdu, tant pis, autant se marrer. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que le journalisme puisse de temps devenir une catégorie des IgNobels.
Avec les crétins de Portland, ce n’est pas du tout la même chose. On a des types qui s’attaquent à un sujet qui buzze, inévitablement. Le problème, c’est qu’ils ont parfaitement repéré ce qui se passait dans les médias. On peut se demander s’ils ne sont pas plus sociologues que physiciens ou chimistes. Ils ont compris que seules les études négatives au sujet de l’e-cig faisaient parler d’elles. Le « travail » qu’ils ont rendu a peut-être même eu lieu après l’étude japonaise tant elle est légère. Et le même phénomène a lieu.
Passons maintenant à une autre phase. Celle des journalistes. Tous les jours, des centaines d’études, sérieuses ou pas, débarquent. Et on n’a pas tous les jours un traitement contre le cancer à annoncer. Le spécialiste médical d’un journal a une ou deux pages à couvrir, par semaine, ou par mois. Et le journaliste a un certain égo. Il ne recherche pas forcément le prix Albert Londres mais il cherche à conserver son boulot en ayant une rubrique qui soit lue par un maximum de monde. Pour avoir essayé de créer un journal sur l’e-cig, j’ai vu ce qui se passait dans les rédactions. Tous les directeurs de publication ont bien compris l’intérêt économique de la chose, avec deux millions de vapoteurs en France. Quand ils passent à la télé en ce moment, ils n’ont plus qu’un mot à la bouche : la liberté d’expression. Dans les faits, ils sont péteux. Ils craignent un scandale sanitaire, ils ne connaissent pas le sujet ; on leur explique mais malgré tout, ils campent sur leurs positions. En gros, les millions de morts de la clope pèsent moins dans la balance que les tracas administratifs que cela pourrait engendrer en cas de problème. Et donc, par osmose, dans les rédactions, dès que l’on touche à l’e-cig, c’est d’abord la prudence puis comme un écho le « Oui mais » dont on a pas mal entendu parler depuis l’édito du Charlie des survivants ou « On vous l’avait bien dit » dans le pire des cas. Or, ces arguments ne sont pas viables ; à chaque fois qu’un avis négatif débarque sur l’e-cig, on découvre que ces études sont mal fichues et bancales. En revanche, là, jamais de mea culpa ni même d’erratum. C’est exactement ce qui s’est passé avec Le Monde et Le Figaro.

Mais pourquoi une telle propagation négative de l’information sur la cigarette électronique ? Je pense que l’ami Google a sa part de responsabilité. Nous vivons dans une ère prémâchée, le temps du SMS. C’est le « title » qui fait la loi. Le « title » doit être accrocheur, il doit pousser au clic. Et c’est bien là le premier problème avec la vape ; on aura plus tendance à aller lire « L’e-cigarette plus cancérigène que le tabac (étude) » que « Une nouvelle attaque contestée contre la cigarette électronique ». Dans le premier cas, ça sent la mort ; dans le second, la connerie. Or, il y a véritablement un système de vases communicants dans cette histoire. Celui qui s’en prend à la vape fait la promotion de la clope. Et là, ça pue réellement la mort. C’est ce que n’ont pas encore compris les journalistes qui traitent le sujet et c’est ça le vrai scandale. L’art du titre tue l’info. « Abdallah est mort en Arabie Sahoudite » : ok, c’est bon, pas besoin de cliquer, j’ai l’info. Idem pour Tsipras en Grèce, tout le monde a compris qu’il serait vainqueur des élections des heures avant les résultats officiels. Marseille ou le LOSC qui gagne, qui perd, c’est pareil, tout est dans le titre. « L’e-cig, on vous l’avait bien dit » : on déduit, on va vite, on comprend que quelqu’un a trouvé un truc pas franchement bon pour la santé. Même si l’étude est bidon, j’ai écrit deux pages hier pour vous démontrer que ces trois paragraphes étaient d’une nullité absolue. Moins de cent caractères suffisent à raconter une connerie. Pour démontrer le contraire, il faut deux pages. Le pire, c’est qu’on a beau essayer de démontrer que non, ce n’est pas aussi grave que ça, le formaldéhyde, que les protocoles non dévoilés rendent l’étude caduque, certains ne voudront rien entendre. Ils ont déjà leur avis sur la question.
Tout ça pour en arriver aussi à la conclusion que c’est également la faute du public, fatigué d’avance à l’idée de lire deux pages. Certes, il y a les idiots de Portland, en mal de notoriété. Il y a des idiots de journalistes qui prennent la température en fonction du sens du vent et du poids des annonceurs publicitaires (et de ce point de vue là, vu la législation, ça ne va pas beaucoup avancer dans les rédactions) et puis il y a les « lecteurs » qui ne vont pas au-delà d’un titre pour penser qu’ils ont une analyse pertinente du monde de la cigarette électronique ou du monde tout court.
Bref, on n’est pas sorti de ce cycle où on nous explique un jour en SMS que la vape, c’est le mal et l’inverse le lendemain sur trois pages. Le pire dans cette histoire, c’est que le lobby du tabac n’a même pas besoin de frapper pour que ce genre de choses se passe tout de même. Les scientifiques ont eu leur quart d’heure de gloire, les journalistes ont fait leurs piges et tout va bien dans le meilleur des mondes. Honte sur eux.