Interview Xavier Martzel, le nez d’Alfaliquid

À l’occasion du Vapexpo, nous avons pu rencontrer toute la famille Martzel. Derrière ce patronyme, on retrouve le numéro 1 français de l’e-liquide, Alfaliquid. Aux USA, on appellerait ça une success story, on en ferait un film. Outre-Atlantique, dans ce genre de projet, les défauts sont gommés. Je suis éberlué à chaque fois que je rencontre les parents ou les enfants. C’est l’image d’Épinal de la famille idéale : ils sont sympas, chaleureux et on aimerait n’être qu’un cousin – même super éloigné – pour, en plus de découvrir de très bons liquides, découvrir ce qu’est une famille normale. Sur le salon, j’ai rencontré Xavier, l’aromaticien d’Alfaliquid, pour une interview fleuve – diffusée donc en deux parties. Dans ce premier épisode, il revient sur la genèse de l’aventure et la création d’un liquide.

Kitclope : Comment se passe une réunion de famille chez les Martzen ? Les fils, le père, la mère, tous chez Alfaliquid… Vous arrive-t-il parfois de parler d’autre chose que d’e-cigarette lors du poulet dominical ?

Xavier Martzel : C’est vrai qu’on travaille tous les quatre dans la même entreprise et la on n’a pas toujours l’occasion de se capter la semaine étant donné que chacun a sa partie. Alors, c’est vrai que dans les repas de famille, c’est difficile de parler d’autre chose que de travail. Mais on essaie de faire en sorte de discuter d’autre chose que de boulot. C’est pas toujours évident.

Kitclope : Qui, dans la famille, a eu un jour l’idée de dire : on va faire de l’e-cigarette. Comment ça a démarré ?

Xavier Martzel : Il faut savoir qu’Olivier et moi, on était tous les deux des fumeurs. On est dans les années 2003, 2004. Olivier était à un paquet par jour, moi un peu plus. Mon frère était dans une phase où il voulait arrêter. Il a essayé les patchs, les gommes à mâcher, il a aussi testé les traitements pharmaceutiques de l’époque… Je sais pas si le champix existait déjà mais il avait essayé un truc. Il a tenté l’acuponcture, le laser dans les oreilles… Il avait donc essayé pas mal de choses, sans aucun succès. Mon père s’inquiétait parce qu’il n’arrivait pas à arrêter de fumer. Comme lui, de par son formation – ingénieur en électrotechnique – il s’était dit à l’époque qu’au-delà du goût de la cigarette, il y a aussi la gestuelle, il y a plusieurs choses à reproduire. Il s’est vraiment posé des questions sur ce qu’était la cigarette et a plus ou moins imaginé la première cigarette électronique. Ça a abouti sur un brevet qu’il a déposé en janvier 2006. Là, on a eu deux nouvelles. Une mauvaise et une bonne. La mauvaise, c’est qu’il existait déjà un modèle et la bonne, c’est que sur la chose qu’il avait imaginé, il y avait des innovations techniques qui permettaient quand même de déposer le brevet. La création de la société, c’est donc en 2008, Gaïa Trend. On a commencé par démarcher des partenaires français mais à l’époque, les gens nous prenaient pour des extra-terrestres. « La cigarette électronique, ça marchera jamais… ». Au niveau des organismes ou même des banques, personne n’a suivi parce que personne n’a cru au produit de la cigarette électronique. Du coup, ça n’a été que du financement personnel. On s’est donc rendu en Chine pour voir si on pouvait développer le premier modèle là-bas. On a trouvé un partenaire, on a sorti notre premier modèle qui se basait sur le brevet. Et en 2008, 2009, on a commencé à commercialiser l’Alfacig. Là, les assureurs nous ont dit : assurer du matériel électronique venant de Chine, pas de soucis. En revanche, ils ne voulaient pas assurer les liquides. Donc, tout de suite la problématique du liquide s’est posée et comme on avait des compétences en interne, on s’est lancé dans le développement de liquide. Ce sont des projets longs : beaucoup de recherche sur la toxicité des arômes. On savait très bien qu’on partait sur de l’inhalation, pas de l’ingestion donc il fallait adapter le produit et fin 2010, on a sorti notre première gamme qui devait être composée de 14 ou 16 références. C’est comme ça que l’aventure a commencé.

Kitclope : Donc, le début de Gaïa Trend, c’est du matériel !

Xavier Martzel : Exactement. Mais on a arrêté parce qu’on s’est aperçu qu’il y avait vraiment énormément de problèmes de qualité sur le matériel chinois et nous on voulait vraiment proposer à nos clients du matériel correct. On a donc mis en standby le projet de cigarette électronique pour se concentrer sur la partie liquide jusqu’à avoir la possibilité de lancer des études en partenariat avec des industries françaises pour lancer un modèle 100% français et ne plus se retrouver avec les défauts de qualité du matériel chinois. Et proposer la première e-cig 100% française.

Kitclope : Donc ça c’est pour bientôt, la première cigarette Alfaliquid digne de ce nom ?

Xavier Martzel : Normalement. Ça devrait arriver courant 2015.

Kitclope : Est-ce que tu peux nous parler de ton job ?

Xavier Martzel : Alors ma partie à moi dans l’entreprise Alfaliquid, c’est tout ce qui concerne l’aromatique. Je suis dans la Recherche et Développement. C’est moi qui vais concevoir toutes les nouvelles recettes tant au niveau des saveurs simples que des saveurs composées. Donc ma journée, c’est une bonne partie de phase de recherche dans le laboratoire, un petit peu de travail bibliographique mais ça se passe principalement dans le labo, à faire du développement et de la création, tester des matières premières… Quand je dis tester, c’est au niveau de la saveur, des qualités organoleptiques mais aussi leur toxicité, leurs réactions sur la cigarette électronique pour être sur d’utiliser un bon produit. Et ensuite, ça passe par l’assemblage et la création des saveurs et là, on rentre dans un domaine qui pourrait être comparé à la gastronomie ou à l’œnologie. J’essaie de m’amuser sur l’association des saveurs.

Kitclope : Quand tu dis que tu testes un nouveau composant, tu parles d’arôme ?

Xavier Martzel : Non, nous quand on parle de composant, on parle de la matière première aromatique. Un arôme, c’est déjà un produit fini. Dans le domaine de l’e-liquide, le produit fini, c’est le PG/VG, alcool, nicotine ou non et l’arôme mais dans le domaine de l’aromatique, l’arôme est déjà un produit fini. Nous on travaille sur les constituants aromatiques donc la matière première qui va nous servir à aboutir sur un arôme. Quand je parle d’un arôme menthe, c’est déjà une finalité. Ça va bien au-delà de la simple menthe, ce sont des constituants qui tendent à reproduire un goût menthe. Un arôme de menthe est déjà constitué de plusieurs molécules aromatiques.

ALFALIQUID - Remplissage fermeture
C’est probablement un des flacons les plus laids du monde mais Alfaliquid est très fier de l’embouteillage totalement sécurisé. (crédit photo georgespate.com)

Kitclope : Est-ce que tu es le seul à faire ça chez Alfaliquid ou ton père te met en avant ?

Xavier Martzel : Je suis tout seul dans la partie Recherche et Développement car aujourd’hui, l’arôme, c’est la partie la plus sensible chez Alfaliquid parce que les autres constituants sont connus de tout le monde. Chaque entreprise d’e-liquide utilise les mêmes bases, que ce soit le propylène glycol ou la glycérine végétale mais ce qui va permettre à chaque fabricant de se différencier, c’est sur la partie arôme. C’est au cœur du secret professionnel, c’est un sujet très sensible. On a voulu minimiser le nombre de personne ayant accès à l’information, en l’occurrence une seule dans un but de protéger le produit. Même si on a des filtrations au niveau du laboratoire de mélange, les gens n’auront que des dosages mais n’auront jamais accès à la formulation complète d’un arôme. Même si un jour il y a une fuite, il ne sera pas possible de reproduire un arôme Alfaliquid parce que justement le cœur de la recette est préservé.

Kitclope : Si t’étais chez Coca, tu serais une des personnes à avoir la formule magique ?

Xavier Martzel : C’est ça. Si on peut effectivement faire ce genre de comparatif !

Kitclope : Ça m’a fait marrer quand tu m’as expliqué la conception de Maha Radja. Tu m’as dit que t’avais jamais mis les pieds en Inde et que ça s’était passé au téléphone grâce à un copain qui était sur place.

Xavier Martzel : Oui, c’est possible, forcément. Dans certains cas, on peut se baser sur son propre ressenti parce qu’on a visité des lieux et on a des senteurs qui nous sont familières, liées à certains endroits, certaines choses qu’on a goutées. C’est-à-dire, dans la vie de tous les jours, on reconnait un goût parce qu’on l’a assimilé. Notre cerveau forme ce que l’on pourrait appeler une bibliothèque sensorielle. Par exemple, je peux pas dire que ça me fait penser à de la menthe verte si j’ai jamais testé de la menthe verte. Chaque goût est indescriptible tant qu’on n’a pas mis le doigt dessus. Alors, c’est vrai que pour le Maha Radja, je n’étais jamais allé en Inde mais j’ai eu pas mal de retours et j’ai lu beaucoup de choses qui m’ont permis de connaitre quels étaient les produits nobles mis en avant en Inde et de travailler un liquide cocktail qui serait assez fidèle et représentatif du pays.

ALFALIQUID - Stockage
Les stocks Alfaliquid… Oui, le vapoteur a de quoi se sentir comme un enfant débarquant dans un magasin de jouets quand ses parents lui disent qu’il peut prendre ce qu’il veut. (crédit photo georgespate.com)

Kitclope : C’est une question que je vais poser à tous les concepteurs d’e-liquide : où naît l’arôme ? Est-ce que c’est dans a tête, une odeur dans la rue, autre chose ?

Xavier Martzel : Quand on est sur un aspect de création… Si on veut… Comment dire ? On peut pas dire : je pose une feuille blanche sur la table et je vais imaginer mon cocktail de demain. On ne peut pas se prendre deux heures et se dire qu’on va plancher sur un produit. Généralement, ce sont des instants privilégiés dans la journée. Ça peut être quand on va manger quelque chose, en sentant, en lisant. Ce sont des instants que l’on peut provoquer mais parfois, on ne s’y attend pas vraiment. Il y a une idée qui germe et il est très important de mettre par écrit les choses qui arrivent parce que c’est ça qui va remplir la feuille blanche. Mais on ne s’assoit pas à son bureau en se disant qu’on va imaginer un nouveau cocktail, c’est pas vraiment comme ça que ça marche. C’est souvent involontaire. Quand ça vient, on note et puis on fait un brainstorming individuel, on va noter plein de choses sur un papier et ça va être la base de travail. Le commencement arrive sans qu’on le recherche, il y a une part, comment dire… C’est à la fois simple et compliqué à expliquer. On le provoque pas, y’a des idées qui arrivent comme ça, même parfois la nuit, faut se lever pour noter quelque chose. Mais ces instants peuvent se provoquer en regardant, en sentant. L’aromatique, c’est pas simplement une question de goût. On joue sur le visuel, sur l’odorat et le gustatif. Ça peut être ces trois choses là qui vont impacter la naissance d’une idée.

Kitclope : Et quand tu te dis que tu vas mélanger deux saveurs, est-ce que tu sais ce que tu vas obtenir à l’avance.

Xavier Martzel : Alors on a toujours certaines particularités qui sont propres à chaque fruit, chaque feuille, chaque fleur donc on sait que certaines choses vont plus ou moins bien s’équilibrer et on sait qu’il en existe d’autres qui vont être en totale contradiction. Et ce qui est formidable dans l’aromatique, c’est qu’on peut s’amuser à jouer sur les saveurs primaires. Le sucré / le salé, l’amer / l’acide. Et si on prend un fruit acide, on ne va pas lui rajouter un autre fruit acide sauf si vraiment on veut jouer sur l’acidité. On a tendance plutôt à faire des équilibrages pour avoir des mélanges homogènes, plus ronds en bouche. Si on prend un produit acide, on va l’associer avec un produit sucré pour amener de la douceur et avoir un mélange qui déjà sera plus complexe et gustativement plus intéressant en bouche. Si on prend notre liquide Fort de France, quand on part sur la cerise, c’est un fruit qui est un peu acidulé surtout l’acérola, cerise des Antilles. Y’a beaucoup plus de peps sur ce type de fruit rouge. Si on l’avait laissée seule, on aurait eu du peps mais pas de subtilité. Le fait de l’associer à la fraise, un fruit qui a beaucoup de goût, qui est très doux en même temps, avec son petit côté sucré, on n’est pas comme avec la framboise où ses petits grains apportent de l’acidité. La fraise, c’est que de la douceur. Associer la cerise acide à la fraise sucrée, là, justement, ça fait un mélange où on gomme l’acidité de la cerise par la douceur de la fraise et on a vraiment un mélange homogène en bouche et où on prend du plaisir.

Kitclope : Tu me parlais de bibliothèque sensorielle. Est-ce que c’est un truc qui se travaille ? En gros, est-ce qu’on est dans l’inné ou dans l’acquis ?

Xavier Martzel : Alors pour n’importe quel individu, la bibliothèque sensorielle, c’est quelque chose qui peut se travailler. Après, par contre, y’a des gens qui ont plus de facilités que d’autres au niveau de la perception aromatique. Certains vont avoir du mal à mettre le doigt sur certaines saveurs. Même simplement lors d’un repas, il leur sera impossible d’avoir tous les ressentis, ils ne vont sentir que les dominantes parce que c’est vraiment la surface de l’iceberg, c’est ce qu’on va sentir en premier. Et toute la subtilité, donc la partie cachée, y’a une certaine proportion de personnes qui va avoir du mal à mettre le doigt dessus. Donc, malheureusement, chez ces personnes, c’est quelque chose qui ne va pas être modifiable. Enfin, on ne peut pas parler non plus de capacité innée parce que même chez ces personnes là, ça peut se travailler. C’est plus simple chez certains mais après, c’est un gros travail. La bibliothèque sensorielle, ça se travaille au quotidien et un bon aromaticien, il peut mettre une vingtaine d’années pour travailler cette fameuse bibliothèque sensorielle et être à l’apogée de son art.

La suite c’est ici

Propos recueillis pas Léo de Urlevan

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