La curieuse étude du professeur Kunugita
Un titre de news comme ça, ça sonne un peu comme le nouveau volet des aventures de Blake et Mortimer. Pourtant, on ne va pas parler de l’Espadon, de salle cachée dans une quelconque pyramide, de marque jaune, ni du colonel Olrik. Mais de vape. By jove !
En ce qui concerne la vape, j’ai toutes les alertes Google possibles. Autant le dire, aujourd’hui, ça s’est un peu affolé. En raison d’une étude japonaise. Il est particulièrement intéressant d’observer le comportement des médias quand une étude comme celle-ci débarque. Sans véritablement de pondération, avec des affirmations incroyablement péremptoires. Pourtant, quand on regarde de près cette étude, il y a quand même de quoi freiner des deux pieds comme nous allons le voir.
Les Echos : la cigarette électronique est, elle aussi, cancérigène.
Le Huffington : Une étude japonaise confirme des substances cancérigènes
L’Express : certains composés plus cancérigènes que la fumée traditionnelle
La palme revient au Figaro avec un fabuleux « La cigarette électronique plus toxique que le tabac ». On peut dire que Le Figaro est parfois très réactif à tirer des conclusions rapides. Attention, le journal fait parfois preuve de beaucoup de prudence et on ne peut que le féliciter en constatant la façon dont chaque mot est pesé quand il s’agit d’évoquer les affaires de la municipalité de Corbeil. Mais passons.
Comment passe-t-on d’un composant plus présent, avec des chiffres qui sont en totale contradiction avec d’autres études à un « plus toxique que le tabac » ? C’est assez extraordinaire.
C’est sur la base de résultats obtenus avec une machine à fumer que les auteurs de l’étude ont travaillé. Avec un protocole qui me semble assez hardcore, de base : 10 séries de 15 aspirations, avec des pauses cependant, le tout sur la même résistance. 15 aspirations de suite… C’est tout de même idéal pour faire chauffer fortement une résistance. Donc la cramer. Ça ressemble fortement aux tests effectués par 60 millions de consommateurs dans lesquels le journal expliquait avoir été justement au-delà des conditions normales d’utilisation. Or, une vape qui a un sale goût cramé, ça s’arrête immédiatement. Ça brule les lèvres, ça n’a plus aucune saveur et ça ne diffuse plus de nicotine.
Dans cette étude, le professeur Kunugita a trouvé quatre produits cancérigènes : du formaldéhyde, de l’acroléine, du glyoxal et du méthyglyoxal. Première précision intéressante : en fonction des cigarettes électroniques testées, les concentrations changent. Ce qui prouve bien qu’avec « certaines » cigarettes électroniques, on a probablement des problèmes. Rappelons que l’étude se déroule au Japon et qu’en termes de liquides, on est dans la région du grand n’importe quoi. Mais passons. Venons-en plutôt au cœur du problème et ces quatre composants trouvés.
Tout d’abord, ce que dit l’étude, c’est que l’équipe a trouvé des concentrations de produits cancérigènes 10 fois supérieurs à ce que l’on trouve dans la clope. Sauf que lorsque l’on lit l’étude, il n’y a plus qu’un seul produit présent en quantité dix fois supérieures. Le formaldéhyde. Or, il faut déjà pondérer. C’est quelque chose que l’on trouve partout, dans chaque maison, en extérieur, dans des zones urbaines ou pas. De plus, ce n’est que dans un test parmi dix que ces quantités ont été mesurées. On commence à déjà s’éloigner fortement du « plus toxique que le tabac », non ?
Mais on a tout de même un problème quand aux chiffres car il faut comparer deux tableaux. Le site ecigarette-research a été particulièrement réactif et a mis Kunugita face à certaines données. Ci-dessous, la récente étude japonaise. Le chiffre qui nous intéresse se trouve sur la ligne A ; la colonne intéressante, c’est bien sur Formaldéhyde. Et on nous dit que c’est dix fois plus qu’une cigarette normale. Ecigarette-research met en opposition ce tableau aux résultats d’une étude canadienne sur la tueuse ; c’est le second tableau. Là, il ne s’agit pas d’un taux de formaldéhyde 10 fois plus important dans l’e-cig mais six fois plus important dans les tueuses !


Là, tout s’inverse : même la pire des cigarettes électroniques japonaises est bien moins dangereuse que la clope.
Suite à un premier article, Kunugita a contacté ecigarette-research. Et là, c’est très intéressant : il explique que le taux de formaldéhyde dix fois supérieur à la celui de la clope traditionnelle est un résultat qui n’a pas été diffusé dans les recherches.
Tout ceci semble au mieux flou et très imprécis et au pire faux. D’abord, on a des résultats qui ne correspondent pas à ceux obtenus dans plusieurs études. Ensuite, on ne sait pas sur quel matériel les japonais ont travaillé, peut-être même du matériel qui n’a jamais été distribué ailleurs qu’au Japon mais le monde entier reprend l’info. Pour finir – et là les scientifiques de l’étude ne sont pas les seuls responsables – il y a une escalade dans le sensationnalisme des titres d’articles qui ne correspond plus du tout à une quelconque réalité lorsque l’étude débarque dans un journal comme Le Figaro.
Sans devenir totalement paranoïaque, quand on regarde bien Google dans le domaine de l’e-cig, il y a vraiment de quoi flipper. Il y a deux jours, l’étude belge (qui manquait un peu de participants mais qui a tout de même donné lieu à une publication scientifique) a été reprise moins de dix fois, sur des blogs, quelques sites mais aucun site de référence. Là, un rapport douteux débarque de l’autre bout du monde avec un flou artistique incroyable et tout le monde reprend en cœur que l’e-cig est dangereuse avec presque cette affirmation selon laquelle la clope, c’est plus safe. Au secours !